Dans le contexte littéraire particulièrement fécond des deux dernières décennies du XIXe siècle, caractérisé au niveau narratif par une forte poussée expérimentale qui devait faire suite à la crise du naturalisme, l'oeuvre de Francis Poictevin repré sente un exemple signifi catif de renouveau du roman et d'intériorisation du malaise qui s'empare du siècle fi nissant. Ce disciple d'Edmond de Goncourt, esthète raffi né, esprit sensible ayant fait de sa vocation une quête existentielle, poussa à l'extrême les procédés de l'écriture artiste et les théories goncourtiennes de composition, et déboucha sur une prose toujours plus déstructurée, exsangue, frayant avec les formes d'écriture de la subjectivité, bientôt envahie par l'espace comme ultime attache avec le réel. L'objectif de donner une forme expressive à la sensation dans ses nuances les plus infi mes, qui orienta la recherche littéraire de Francis Poictevin, se situe au centre d'une redéfi nition de l'outil romanesque, en même temps qu'il assimile les nouvelles idées sur la perception et l'analyse du moi. Le roman Songes, introuvable comme la plupart des oeuvres de cet 'oublié', méritait donc de fi gurer parmi les rééditions visant à récupérer les auteurs décadents français dont les innovations ont contribué de façon souvent latente, mais non moins incisive, à la constitution du roman du XXe siècle. L'édition de Songes, que Federica D'Ascenzo propose au public moderne, se compose d'une introduction qui met en évidence, à partir de la réception de l'oeuvre par la critique de l'époque, le tournant décisif que ce roman marque dans la production de son auteur, aussi bien au niveau structurel que pour le caractère fortement novateur de la langue de Poictevin; en outre, elle fournit l'une des premières bibliographies de et sur l'auteur, alors que les annotations linguistiques, stylistiques et explicatives permettent une lecture éclairée du texte. Songes apparaît ainsi comme une ligne de partage sans laquelle les narrations évanescentes et déconstruites qui forment les oeuvres suivantes de Francis Poictevin ne seraient pas compréhensibles. Considéré par les surréalistes comme un précurseur, pour son projet implicite d'anti-roman, pour l'importance qu'il accorda à la fantasmagorie de l'espace, pour le rôle qu'il attribua à la réalité subjective et pour les aspects modernes de sa langue, ce 'panthéiste mystique' participe de cette prose fi n de siècle qui continue, encore aujourd'hui, à nous livrer ses fruits les plus singuliers.